Les poubelles
Il est des choses naturelles en France, vous jetez vos ordures dans une poubelle, vous mettez la poubelle sur la rue et le lendemain, hop, ni vu ni connu, les éboueurs sont passés. Tellement simple, tellement pratique …
Il est des choses pas du tout naturelles en Inde, vous jetez vos ordures dans une poubelle, vous laissez la poubelle dans la cuisine en espérant que la maid va penser à la descendre et hop, ni vu ni connu … rien du tout, quand vous rentrez le soir la poubelle est toujours là.
La 1ère étape du plan « formation de la maid » consiste donc à laisser un petit mot « Please Anita, take the garbage out ».
2ème jour, vous partez le cœur léger au bureau, sure que ce petit réajustement dans les directives est suffisant. C’est sans compter sur la puissance de l’esprit indien à appliquer les directives à la lettre … Retour à la maison le soir, le cœur moins léger et l’esprit fatigué, vous poussez la porte de la cuisine et … victoire ! la poubelle n’est plus là ! Forte de ce succès vous retrouvez votre cœur léger et entreprenez de faire entrer un peu d’air frais (tout est relatif bien sûr à Delhi en Juin) dans l’appartement. Vous ouvrez la porte de la terrasse et là, horreur, une odeur que vous n’identifiez que trop facilement vous assaille les narines. Elle a sorti la poubelle, oui … sur la terrasse « take the garbage OUT ». Misère … pourquoi les choses ne sont elles jamais simples ici ????
3ème jour, sagement, vous acceptez que vos directives n’étaient pas assez précises, il faut toujours savoir se remettre en cause. Vous détachez donc un papier tout propre de votre carnet et entreprenez de rectifier le tir en notant le plus clairement possible « Please Anita, take the garbage outside [une flèche qui indique la porte d’entrée de l’appartement], terrasse [vous rayé le mot] NO [en gras souligné] » Là, c’est clair, c’est sûr. Précisons que vous avez ramené les poubelles à l’intérieur de l’appartement, près de la porte d’entrée pour bien faire comprendre que la terrasse n’est pas une décharge. La journée se passe tranquillement, arrive le soir, vous êtes invitée à dîner chez des amis et vous vous rendez directement au repas sans repasser par la maison. Très bonne soirée, très bon repas, très bonne compagnie et vous rentrez un peu tard, sur les coups de minuit. Vous avez à peine tourné la clé dans la serrure que vous comprenez que quelque chose a encore tourné de travers, les poubelles sont là qui vous attendent sagement sur le pas de la porte, là où vous les avez laissées ce matin … braves petites.
À ce point de l’histoire vous êtes vraiment mais vraiment très énervée. Vous êtes crevée, il est tard, il fait chaud car il faut savoir qu’au mois de Juin à Delhi la température monte facilement à plus de 40°C dans la journée, ce qui veut dire 45°C bien tassés dans les appartements. Je vous laisse donc imaginer l’état de 3 jours de poubelles à New Delhi en plein mois de Juin !!! L’appartement est parfumé d’une odeur très personnelle, un relent de melon pourri, de carcasse de poulet et de restes de maïs en décomposition, charmant. Anita n’est pas venue, ça lui arrive. Bref vous êtes tellement fatiguée que vous n’arrivez même pas à vous rebeller contre ce pays qui ne tourne jamais comme vous le voudriez (mais c’est pour ça aussi que vous l’aimez) et vous déménagé d’un air résigné les sacs nauséabonds sur la terrasse, histoire de ne pas mourir asphyxiée durant la nuit.
4ème jour, toujours confiante, vous replacez les sacs à leur place près de la porte, votre petit mot de la veille bien en vue et êtes maintenant persuadée que ce soir l’affaire sera réglée, on a fait le tour des rebondissements, maintenant c’est bon, tout va rentrer dans l’ordre. 4ème jour au soir, tel Napoléon à Waterloo, vous sentez (c’est la cas de la dire !) que la bataille vous échappe, les poubelles ont voyagé de l’intérieur à l’extérieur de l’appartement : sur le palier. Ca oui, Anita, les a bien mises OUTSIDE et pas sur la terrasse. Que répondre à ça ? La puissance de son résonnement vous laisse par terre.
La situation est critique, il faut vous rendre à l’évidence, l’appel aux forces alliées s’impose. Demain, c’est décidé, vous demandez à votre proprietaire d’expliquer, en hindi bien sûr, leur mission à vos troupes.
Matin du 5ème jour, les poubelles ont dormis sur le palier, vous en aviez marre de vous les trimbaler partout, surtout qu’un des sacs a percé et que ça goutte du jus de melon partout. Evidemment vous vous réveillez en retard et le temps d’avaler votre petit déjeuner, la pendule affiche résolument un horaire où vous devriez déjà être entrain de chevaucher votre moto vers de nouvelles aventures. Pas le temps de parler au propriétaire, à contre cœur vous ouvrez la porte du palier et entreprenez de déménager le tas d’ordures sur la terrasse histoire de ne pas embaumer toute la cage d’escalier dans la journée. Bien sûr, le jus de melon sème sa trace dans tout le living room et ne manque pas de s’étaler sur votre pantalon tout propre d’il y a 5 min. Vous restez calme, en Inde rien ne sert jamais de s’énerver. Vous vous changez, passez la serpillière dans le salon et le palier, histoire d’être vraiment très en retard pour que ce soit drôle …
C’est à ce moment là que l’improbable décide se produire ; la sonnette retentit et un petit indien tout propre se tient sur le pas de votre porte « garbage madam ! », « 50 Rs per month ! » Les éboueurs ! Seigneur ! Ce n’est pas trop tôt. Vous acquiescez sur le prix sans sourciller et lui indiquez la montagne qui gît misérablement au dehors. Votre indien vous débarrasse enfin de vos envahisseurs, le jus de melon goutte gaiement en sens inverse dans le salon, content d’être l’objet de tant d’attention, puis la porte se referme enfin sur cette mésaventure.